23/05/2013
Science-fiction: les mondes fabuleux du possible

Jusqu’à un certain point, le christianisme avait déjà opéré de cette manière. Elle brouillait la frontière entre la fiction et le réel par son histoire sacrée, qui unissait le monde humain et le monde divin. La Bible faisait intervenir les anges dans des faits qu’on regardait comme vrais.
Cependant, la Renaissance a ressuscité la pensée de Cicéron. L’imagination ne devait plus être limitée par les principes du christianisme: elle pouvait pénétrer dans la fable, devenir pure fantaisie.
La science-fiction essaie de tisser un lien entre cette fantaisie et le matérialisme scientifique, devenu nouvelle doctrine incontournable. Cependant, à cet égard, elle ne ressemble pas tout à fait au christianisme, qui admettait l’existence de l’Esprit: elle rappelle davantage les anciens sages de Rome qui ne croyaient pas à la mythologie. Mais, contrairement à eux, elle donne un rôle inhabituel à l’imagination. Elle est comme un mélange de christianisme et de philosophie romaine, ou comme une philosophie romaine marquée par le romantisme et voulant accorder à l’imagination une place importante.
Du reste on trouve, chez des auteurs antiques, des conjectures scientifiques non dénuées de poésie: on se
souvient de Sénèque imaginant la Terre se dissolvant dans l'ensemble des mers. Il aurait pu en faire un roman, si la fiction n’avait pas été réservée à l'imitation des Grecs!

La science-fiction est au fond une Rome qui essaie d’assimiler à son esprit propre la littérature fabuleuse, venue d’Orient. Les dieux y deviennent des extraterrestres qui guident la Cité vers l’éternité, qui sont soumis au devoir de faire progresser l'être humain!
Or, le poète chrétien Prudence attribuait cette poussée civilisatrice ultime au Christ: il affirmait qu’il emmènerait Rome au Ciel. On saisit alors le rapport entre la science-fiction et un penseur tel que Teilhard de Chardin, qui voyait, dans la transformation de la matière par la travail humain, une spiritualisation emmenant l’humanité vers Dieu. La différence étant qu’il assumait la croyance en l’Esprit, et que la science-fiction se veut purement matérialiste. Ce qui est pour le moins paradoxal, l’imagination dépassant toujours l’expérience sensible. Que son objet soit présenté comme matériel n’y change rien: à cet égard, il ne faut pas confondre l’image elle-même avec ce qu’on en énonce en théorie.
Il en résulte que la meilleure science-fiction est celle qui ne se limite pas, dans ce qu’elle imagine, au monde physique, et qui l’assume: c’est celle de C. S. Lewis et d’Olaf Stapledon - que la critique universitaire, au moins en France, assimile à cause de cela à la fantasy. De fait, il n’est pas réellement sensé d’attribuer à la matière même des principes magiques susceptibles d’emmener l’humanité vers l'absolu Idéal! Lovecraft, qui se disait matérialiste, se moquait de la philosophie du progrès, dans laquelle il voyait avec raison un reste de spiritualisme. Victor Hugo disait que l’évolution de l’homme vers l’infini était soutenue par les anges, dans Plein Ciel:
Les êtres inconnus et bons, les providences
Présentes dans l’azur où l’œil ne les voit pas,
Les anges qui de l’homme observent tous les pas,
Leur tâche sainte étant de diriger les âmes
Et d’attiser, avec toutes les belles flammes,
La conscience au fond des cerveaux ténébreux,
Ces amis des vivants, toujours penchés sur eux,
Ont cessé de frémir et d’être, en la tourmente
Et dans les sombres nuits, la voix qui se lamente.
Voici qu’on voit bleuir l’idéale Sion.
Le navire humain s’envole vers la liberté absolue, la cité divine, au travers des êtres sidéraux - se révoltant contre les lois antiques et obéissant, ce faisant, à Dieu! C’est l’essence manifestée de la science-fiction, qui ne peut pas réellement se soumettre au matérialisme ou limiter ses imaginations d’avenir aux triomphes de la vieille cité latine! Il lui faut pénétrer toujours de nouveaux mystères…
09:29 Publié dans Culture | Lien permanent | Commentaires (0)
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